source: passetemps.com
Comprendre un texte requiert une gymnastique sans pareille. Cela implique la mise en œuvre de multiples mécanismes allant de l’identification des mots écrits à l’analyse syntaxique, jusqu’à la construction d’une représentation cohérente de la situation lue. Évidemment, des difficultés en identification de mots écrits nuisent à la compréhension adéquate d’un texte. Toutefois, être un bon décodeur n’est pas un gage d’une bonne compréhension en lecture. Ce billet présente les caractéristiques d’une population d’élèves qui passe parfois inaperçue dans les classes, particulièrement lors des premières années à l’école : les « faibles compreneurs ».
Qu’est-ce qu’un « faible compreneur »?
Malgré des habiletés d’identification de mots écrits fonctionnelles, certains apprenants ne parviennent pas à bien comprendre ce qu’ils lisent. C’est le cas des « faibles compreneurs », terme employé en français pour nommer les poor comprehenders (Cain, 2009; Hulme & Snowling, 2011; Nation, 2005). Les critères généralement admis pour qu’un élève soit considéré comme un faible compreneur sont l’obtention d’un score d’au moins un écart-type sous la moyenne à une épreuve standardisée de compréhension en lecture (soit un résultat largement en dessous des normes), ainsi que d’un score dans la moyenne pour les habiletés de décodage (Nation & Snowling, 1997; Stothard & Hulme, 1996).
Les faibles compreneurs représentent environ 10 % de la population d’enfants d’âge scolaire (Clarke, Snowling, Truelove, & Hulme, 2010; Nation & Snowling, 1997; Stothard & Hulme, 1996). Pourtant, malgré un taux de prévalence assez élevé, ces élèves passent souvent inaperçus auprès des enseignants, du moins lors des premières années d’apprentissage. Cela s’explique par le fait qu’à ce moment, une grande partie des apprentissages est consacrée au développement des habiletés d’identification de mots écrits. Comme ces habiletés sont fonctionnelles pour les faibles compreneurs et qu’ils ne manifestent pas de difficultés évidentes, leur dépistage est plus ardu. C’est vers la fin du premier cycle du primaire, lorsque le décodage est assez développé et que l’acquisition de connaissances par la lecture prend une plus grande importance dans les enjeux scolaires que les faibles compreneurs sont plus fréquemment identifiés.
On remarque que les faibles compreneurs sont particulièrement sensibles à une augmentation des contraintes dans les tâches. Par exemple, lorsque vient le temps de répondre à des questions de compréhension de texte, les faibles compreneurs sont pris au dépourvu. Généralement, ils parviennent à répondre adéquatement à des questions littérales faisant appel à du repérage d’informations (Cain & Oakhill, 1999; Cain, Oakhill, Barnes, & Bryant, 2001). En revanche, il leur est très difficile de fournir une réponse à une question requérant une inférence. Ainsi, pour l’extrait suivant : la fillette pédala jusqu’à la maison, ces élèves peuvent répondre à la question où allait la fillette? mais ne savent pas quoi répondre à celle-ci : par quel moyen la fillette se rendit-elle à la maison? Par conséquent, lorsque le lecteur doit inférer, détecter une contradiction dans un texte ou identifier et comprendre des anaphores et des marques de cohésion, ses ressources cognitives sont limitées et les difficultés apparaissent.
Les causes du déficit en compréhension en lecture
Pourquoi des élèves, en dépit de bonnes habiletés d’identification de mots écrits, ne parviennent-ils pas à comprendre ce qu’ils lisent? Il est à noter que leurs difficultés ne sont pas attribuables à un manque de motivation ni à un manque de connaissances sur le thème du texte (Cain et al., 2001; de Sousa et Oakhill, 1996). À l’heure actuelle, deux principales approches sont proposées pour expliquer la source des difficultés des faibles compreneurs.
La première (et la plus étudiée) est celle du déficit langagier (Nation, Clarke, Marshall, & Durand, 2004). Les difficultés des faibles compreneurs ne seraient pas spécifiques à la lecture; elles apparaitraient également à l’oral (Catts, Adlof, & Weismer, 2006; Nation & Snowling, 1997). Des études longitudinales (Catts et al., 2006; Nation, Cocksey, Taylor, & Bishop, 2010) montrent en effet que les faibles compreneurs présentent des difficultés langagières orales avant même l’apprentissage de l’écrit. Toutefois, il est pertinent de souligner que leurs habiletés phonologiques (par exemple celles en conscience phonologique) sont efficientes (Cain, Oakhill, & Bryant, 2000; Catts et al., 2006), ce qui concorde avec leurs habiletés de décodage fonctionnelles. Ce serait plutôt un déficit relatif à la sémantique qui entraverait la compréhension en lecture. Ainsi, un plus faible vocabulaire, une organisation plus décousue des mots en mémoire et un accès moins rapide à ceux-ci seraient la source des difficultés.
La deuxième approche explicative des difficultés en compréhension en lecture est celle d’un déficit des fonctions exécutives et, particulièrement, de la mémoire de travail. Les fonctions exécutives sont décrites comme un ensemble de processus cognitifs qui permettent une coordination et un contrôle conscients de ses pensées, de ses actions et de ses comportements (Miyake & Friedman, 2012). Pimperton et Nation (2014) ont montré que les faibles compreneurs présentent des difficultés en lien avec la mémoire de travail lors de tâches impliquant des stimuli verbaux. Certains de ces élèves manifestent également des difficultés dans des tâches requérant des stimuli non verbaux et, contrairement aux autres enfants, ils ont tendance à avoir plus de comportements perturbateurs en classe. Leurs comportements s’apparentent à des signes de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH). En somme, les faibles compreneurs auraient des capacités de stockage et de traitement de l’information verbale (ou non verbale) restreintes (Nation, Adams, Bowyer-Crane, & Snowling, 1999) et cela compromettrait leur compréhension en lecture.
Comment reconnaitre et aider les faibles compreneurs?
Afin de prévenir et de remédier aux difficultés en compréhension en lecture, le travail de collaboration entre les enseignants, les orthopédagogues, les orthophonistes et les psychologues est essentiel. Il importe d’abord de cibler précocement les élèves à risque d’avoir un profil de faible compreneur. D’une part, une attention doit être portée sur les élèves entrant à l’école avec des difficultés langagières orales et ayant plus particulièrement des lacunes sur le plan sémantique. D’autre part, les élèves ayant des difficultés attentionnelles et des symptômes d’hyperactivité devraient aussi être ciblés. Par la suite, des interventions ciblant à la fois les habiletés langagières orales et la mémoire de travail constituent une avenue prometteuse pour aider ces élèves (Pimperton & Nation, 2014). Créer des sous-groupes d’élèves selon leur déficit commun et offrir une intervention ciblant leurs difficultés constituent l’une des manières les plus efficaces de procéder (Fiorello, Hale, & Snyder, 2006).
Références
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